18 sept. 2010

Mémoire & Gaga




« Quant à mes corps les plus contemporains dans la peinture, ils sont dispersions, déchirures, ouvertures de leurs dedans au dehors, corps doubles et corps de gloire. Leurs espaces ont cessé d’être hiérarchisés. Ils mêlent en eux fond et figures : l’espace fait corps avec la figure ; la figure est un effet de l’espace où elle naît. »[1]

Marc Le Bot

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Table des matières

Introduction : le dilemme des apparences et de l’être


Figure(s) Double(s)

· Le double comme matrice

· Figures siamoises : le double monstrueux, exhiber l’image

· L’entre-deux, la faille


Miroir et reflet(s) : révélation et falsification

· Entre réel et virtuel

· Entre surface et profondeur

· Mise en abyme


Simulacre et déréalisation

· Espace(s) irréel(s)

· Monstration et peinture

· La couleur, le fard


Icônes profanes

· Séduction : le masque médusant

· Aura glamour : corps de gloire

· Surenchère

Conclusion : Vacuité, échec et vanité



[1] Marc Le Bot, Images du corps, Aix-en-Provence, Présence contemporaine, 1986, p. 9














12 avr. 2010

Peintures 2009 - 2010 (suite)










Sur la mode . (Baudrillard)






Mon intérêt pour la mode vestimentaire et ses représentations photographiques n'est pas chose nouvelle. Je l'avais déjà évoquée comme étant une source d'inspiration, certaines de mes peintures étant directement issues de photographies de mode.

Cet intérêt et cette fascination grandissants, ayant de plus en plus d'impact sur mon travail et mes recherches m'ont tout d'abord surprise. Pourquoi cette fascination pour quelque chose d'aussi futile, superficiel ? La mode n'est pas un domaine dont ont fait l'éloge, bien au contraire.

Son rapport au commerce, au superficiel et son inutilité totale en font t- elles pour autant un domaine inintéressant ? J'ai donc récemment fait des recherches sur la mode, afin de saisir en quoi cette dernière pouvait être intéressante pour le domaine artistique, sachant tout de même qu'art contemporain et mode se rapprochent de plus en plus (Warhol a d'ailleurs sûrement été un des premiers initiateurs).

Mes lectures m'ont apporté plus que je ne pouvais l'espérer, et l'éclairage sur mes recherches est conséquent. Ici quelques extraits de L'échange symbolique et la mort de Jean Baudrillard, où un chapitre entier est consacré à la mode.

" Dans ce sens, on peut dire que tous [les domaines] sont hantés par la mode. Car celle-ci peut s'entendre à la fois comme le jeu le plus superficiel et comme la forme sociale la plus profonde - l'investissement de tous les domaines par le code."

" Sous le signe de la mode, ce sont toutes les cultures qui jouent comme simulacres dans une promiscuité totale."

" Tout aujourd'hui est affecté dans son principe d'identité par la mode. Précisément par la puissance qu'elle a de reverser toutes les formes à l'inorigine et à la récurrence. [...] Mort et résurrection spectrale des formes." Gras

" Esthétique du recommencement : la mode est ce qui tire frivolité de la mort et modernité du déjà-vu. Elle est le désespoir que rien ne dure, et la jouissance inverse de savoir qu'au delà de cette mort, toute forme a toujours la chance d'une existence seconde, jamais innocente, car la mode vient dévorer d'avance le monde et le réel : elle est le poids de tout le travail de mort des signes sur la signification vivante [...]."

"Ainsi la jouissance de la mode est celle d'un monde spectral et cyclique de formes révolues, mais ressuscitées sans fin comme signes efficaces. Il y a comme un désir de suicide, dit König, qui ronge la mode et se réalise au moment où elle atteint son apogée."

"La mode trouve son vertige dans la surface seule, l'actualité pure."

" Il y a une "pulsion" de mode [...] désir d'abolition du sens et d'immersion dans les signes purs [...]."

"Pour Oscar Wilde, "toutes deux [la mode et la collection] donnent à l'homme une sécurité que jamais même la religion ne lui a donnée." "

" Faire son salut dans la mode. Passion collective, passion des signes, passion du cycle [...]. "

" Elle [la mode] qui désinvestit les signes de toute valeur et de tout affect, elle redevient une passion, passion de l'artificiel."

" Au de là du beau et du laid, de l'utile et de l'inutile, c'est cette immortalité par rapport à tous les critères, cette frivolité qui donne parfois à la mode sa force subversive [...]"

" Ni le pratique ni le logique ne sauraient justifier l'extravagante aventure du vêtement, superflue donc nécessaire, la mode ressortit à la religion. "

" Passion de la futilité et de l'artificiel qui est plus fondamentale peut-être que la pulsion sexuelle. Dans notre culture rivée au principe d'utilité, la futilité joue comme transgression, comme violence et la mode est condamnée pour cette puissance qu'il y a en elle du signe pur qui ne signifie rien."

" Livré aux signes de la mode le corps est sexuellement désenchanté, il devient mannequin. "

Et enfin une petite citation toujours extraite du même ouvrage, mais qui illustre parfaitement ce que je pense du mémoire, et du "forcing" à l' intellectualisme pratiqué en faculté d'arts plastiques (et auquel je me plie tant bien que mal) :

" Sous couleur de restituer le "fond des choses" on louche inconsciemment sur le vide".

15 mars 2010

Visage et visagéité


Nouveau projet en cours...

Sinon pour une fois je voudrais directement publier ici des citations retenues de mes dernières lectures, qui m'éclairent réellement sur ma pratique, et qui je pense exprimeront ici beaucoup plus clairement mes questionnements et mes recherches que ne pourront le faire mes propres textes.

Je pense publier d'ailleurs des notes de lectures plus anciennes à l'avenir, car à la relecture de cet ensemble, tout cela paraît encore un peu vague. Un compte rendu plus complet de citations retenues finira par faire cohérence.



- Visages, du masque grec à la greffe de visage de Dominique Baqué :

" Le visage est devenu face, les yeux ne font jamais regard (...). Ici, rien qu'une superficie sans profondeur, un dehors sans dedans, une extériorité dénuée de toute intériorité. Mise à mal sans appel des mythes de l'intériorité : il y a nulle profondeur à déchiffrer (...).

" La vérité du sujet n'est plus qu'un leurre."

- L'image-corps de Paul Ardenne :

" Le portrait tout à la fois, désigne, identifie, inscrit. Il est non seulement un reflet (le moi au miroir) (...), il est encore, surtout, un double, un être parallèle, second visage (...)."

" Le portrait de gloire est celui qui porte l'image au maximum de puissance, (...) qui la fantasme comme puissance infinie. (...) La banalisation de la mise en gloire, sinon son épuisement."

" L'empreinte corporelle du Crucifié, ce premier nu majeur, image de gloire entre toutes."

" Le nu de gloire, soit, sachant toutefois que cette gloire n'existe que pour être disputée, contestée même. "

" Comme la mise en balance d'une chose et de son contraire, le nu de gloire semblant appeler sur lui une contradiction dangereuse, propice a priori à le ruiner. "

" La conséquence, s'agissant en particulier du nu de gloire, c'est un glissement vers l'excès, vers une représentation qui outre son propos. Pour l'artiste, la gloire que le corps mis en image est à même d'incarner va devoir se faire spectacle, se rendre encore plus visible, (...)."

" Pour que le sublime ait lieu, il faut un décollage, un take off de la raison sensible. Il faut impérativement quitter le périmètre du réel."

" (...) Il reste à la figure à s'emballer, à s'excéder, jusqu'à l'exaltation même, au risque de glorification tapageuse."

" Pourquoi déjà, ce besoin de dévotion, d'adoration ? (...) Pourquoi, de notre côté du monde, terre de matérialisme triomphant, cette religiosité vouée à singer les schèmes religieux les plus codés et les mieux établis qui soient, pour finir recyclés quasiment tels quels (...) ? (...) relevons que l'homme occidental, ce champion d'athéisme, a quelque mal à faire son deuil de la foi (...)"

" Déshumanisante mais propice néanmoins à lester le corps d'une gloire démesurée, la "sur-identité" n'est pas sans produire un effet paradoxal de facticité et d'authenticité cumulées. S'y confrontant, le spectateur fait l'épreuve de cette "anti-nature" (...). "

" Epreuve du faux, du trop, de l'invraisemblable. Dans le même temps, il forme l'impression d'une proposition désirable : (...) le corps de rêve, c'est le fantasme de l'identité réalisée. L'artifice, pour la circonstance, n'est pas la tromperie, il est juste le revers de la vérité, ce falsum (le "factice") (...). "

"Le thème du double émane de cette valorisation forcenée de l'incertitude d'être."

- Capitalisme et schyzophrénie 2, Mille Plateaux, de Gilles Deleuze :

" Le masque ne cache pas le visage, il l'est. (...) Inversement, quand le visage s'efface, quand les traits de visagéité disparaissent, on peut être sûr qu'on est entré (...), dans d'autres zones infiniment plus muettes et imperceptibles où s'opèrent des devenir-animaux, des devenir moléculaires souterrains, des déterritorialisations nocturnes qui débordent les limites du système signifiant. Le despote ou le dieu brandit son visage solaire qui est tout son corps (...)."

" c'est pourtant curieux, un visage : système mur blanc-trou noir. Large visage aux joues blanches, visage percé des yeux comme trou noir. "

" Le visage fait partie d'un système surface-trous, surface trouée. (...) Le visage est une surface : traits, lignes, rides du visage (...), le visage est une carte (...). "

" Inhumain dans l'homme, le visage l'est dès le début, il est par nature gros plan, avec ses surfaces blanches inanimées, ses trous noirs brillants, son vide et son ennui."

" Le visage a un corrélat d'une grande importance, le paysage, qui n'est pas seulement un milieu mais un monde déterritorialisé."

" Déchirement, mais aussi étirement de la toile par axe de fuite, point de fuite,, diagonale, coups de couteau, fente ou trou : la machine est déjà là, qui fonctionne toujours en produisant visages et paysages (...)"

"Le visage n'est pas un universel. (...) Le visage, c'est le Christ. (...) Jésus superstar : il invente la visagéification de tout le corps et la transmet partout."

" nos uniformes et vêtements (...) opèrent une visagéification du corps, avec le trou noir des boutons et le mur blanc de l'étoffe."

"Le masque assure l'érection, l'exhaussement du visage, la visagéification de la tête et du corps : le masque est alors le visage en lui-même (...). "

" C'est seulement au sein du visage, du fond de son trou noir et sur son mur blanc, qu'on pourra libérer les traits de la visagéité, comme des oiseaux, non pas revenir à une tête primitive, mais inventer les combinaisons où ces traits se connectent à des traits de paysagéité, eux même libérés du paysage, à des traits de picturalité, de musicalité, eux mêmes libérés de leurs codes respectifs. (...) Non pas une collection d'objets partiels, mais un bloc vivant, une connexion de tiges où les traits d'un visage entrent dans une multiplicité réelle (...). "

2 mars 2010

La Source (simulacre)


(cliquez sur le schéma pour agrandir)


Ca fait un peu gribouilli de maternelle, mais c'est ici une tentative d'y voir plus clair dans le cheminement de la démarche, comment les notions sont reliées entre elles, comment l'ont passe de l'une à l'autre, quelles sont les plus significatives, etc.

Le point de départ, la clef de tout serait semble t'il _pour le moment_ le simulacre (finalement j'étais bien inspirée le jour où j'ai choisi le titre de ce blog).
Et visiblement avec ce schéma (qui a suscité plusieurs brouillons avant de pouvoir arriver à ce résultat), ce qui m'intéresse particulièrement dans le simulacre, c'est son tiraillement entre le réel et le virtuel, le véritable et le factice. C'est au coeur de cette dualité que s'inscrit ma peinture.

25 févr. 2010

De la séduction



Le projet des deux vierges est donc terminé. Un nouveau projet est en cours.

Deux textes également, le premier a été fait début février, dans le cadre du mémoire :

* Peindre les représentations contemporaines de la figure humaines par le biais des images. C'est-à-dire peindre l(es) image(s) de l’Homme.L’image, en tant que non-réalité, en tant que miroir, simulacre. Il ne s’agit plus de peindre des visages de chair, mais de peindre des imago (« moulage de cire du visage des morts »(2), des masques, des apparences, des spectres. Représenter le simulacre, représenter l’image iconique,« meurtrière[s] du réel ».

La peinture vient ici tenter de mettre à jour ces simulacres, d’aller au-delà des apparences, derrière le masque. Le pinceau vient alors disséquer l’image, corps mort, pellicule. De cette dissection, geste vertical fondateur, résulte une mise en miroir horizontale de l’image, qui évoquant la crucifixion, inaugure les dommages que cette dernière va subir.Comme une volonté de faire craquer l’image « facile » par la cruauté. Le sujet aussitôt élu est condamné, la figure double, iconique, est alors aussi bien celle du saint que celle du martyr.(4)

L’image devient un écorché mis en scène, que la peinture tente de pénétrer. Deux types de surfaces sont en lutte : celle de l’image, le motif, le sujet / celle du tableau où vient s’inscrire la peinture. Incisions graphiques, coulures, transparences et opacités se chevauchent, s’imbriquent, et créent un jeu de profondeurs inattendu (par exemple le 1er plan recule, le fond avance), une déconstruction, une fragmentation.

Le tableau est un territoire, un miroir brisé, un corps que l’on parcourt de la peau jusqu’aux os en passant par les tripes.Plus qu’une dissection de l’image, c’est une dissection de la peinture même qui est opérée.

La peinture vient meurtrir l'image meurtrière. Que reste -t-il ? Exposée comme une nature morte pourrissante, image purulente, altérée, effondrée, dévorée par la peinture, le monstre agonisant ne dévoile rien, il n'a pas perdu son masque, et la puissance du simulacre persiste. Sans doute parce que la peinture elle-même est un simulacre (5). Nous sommes alors devant un théâtre du néant, ou les débordements, les flux et les reflux ne contribuent qu’à une surenchère visuelle, luxuriante. La déconstruction de l’image s’est muée en tragédie (6), et ce qui nous reste à voir, c’est une vanité, aussi bien de l’image que de la peinture, que le motif du miroir, persistant, vient ré-appuyer. Simulacre de simulacre, une accumulation de reflets accouchant du néant, mes peintures tentent de rendre « manifeste le conflit de la toile et de l’écran qui définit le statut de l’image moderne. »(7)

(1)Voir à ce sujet les écrits de Baudrillard.

(2) Cécile Guilbert, Warhol Spirit, Grasset, 2008, p163.

(3) Jean Baudrillard, Simulacre et Simulation, Galillée, 1981

(4) Voir Cécile Guilbert, ibid., p.142

(5) Voir Pierre Arnaud et Elisabeth Angel Perez, Le regard dans les arts plastiques et la littérature, P.U. Paris Sorbonne, 2003.

(6) Voir l'oeuvre de Francis Bacon.

(7) Catherine Millet, "Warhol's Phantoms", Art Press n°40, Septembre 1980, Warhol, Art Press Archive, 2009, p.25

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* Peindre des icônes contemporaines, figures de la duplicité. Disséquer l’image de ces icônes, c'est-à-dire l’ouvrir en deux parties pour en faire l’examen anatomique. Tel un cadavre, il s’agit de creuser l’image, creuser l’icône par le biais d’une figure double monstrueuse, pour en révéler la fausseté, le simulacre.La figure devient le support d’une mise en abyme : la peinture vient meurtrir l’image meurtrière du réel.

Mais la peinture peut-elle vraiment prendre le dessus sur l’image, puisqu’elle est elle-même génératrice d’image ? Autrement dit, la peinture peut-elle échapper à l’image, ou bien n’est-elle aussi qu’un simulacre ? Peut-on faire des visages avec des masques ?




9 déc. 2009

décalages

version n°1 : photographie originale de Mauro Mongiello et Sophia Sanchez publiée dans le magazine Numéro

version n°2 : après retouche photoshop

version n°3 : image rétroprojetée par un appareil défectueux




Une seule et même image peut exister sous de multiples versions/formes. Cette idée m'intéresse énormément, et dans mon travail c'est justement la transformation, voire la transfiguration de l'image qui m'intéresse. Garder une ossature, et tâcher de ré exploiter le reste.

En avançant le projet des vierges aujourd'hui, je réalise justement que la transfiguration de l'image n'a pas eu lieu. Je suis restée trop proche de la version n°2 alors que j'aurais voulu m'attacher à la version n°3 pour obtenir une version n°4...
Je trouve par conséquent la peinture inintéressante bien que "jolie".
Cette dernière n'étant pas terminée je vais peut-être pouvoir la pousser plus loin par la suite, mais cela sera d'autant plus difficile étant donné qu'elle est quasiment achevée et donc construite. Il va falloir déconstruire pour reconstruire, et le risque dans ces cas là est de tout perdre, de massacrer la peinture et de perdre définitivement l'image.