12 juil. 2009

Octobre 2008-mai 2009 : déborder l'image

Avant de parler du présent, je pense qu' il est important de parler du passé.
Cette première année de master a été décisive dans ma pratique : elle marque un tournant dans le sens ou je suis passée d'une pratique timide, hésitante, qui tenait plus de la recherche, à quelque chose de beaucoup plus assumé, conscient, autonome. Je sais ce que je fais, pourquoi, quelles sont les ouvertures engagées, les liens visibles avec d'autres pratiques, etc. Je suis passée du flou à la netteté : tandis que je me trouvais auparavant dans un univers quelque peu bancal et flottant, dorénavant un réseau tout à fait logique et cohérent se distingue.


Voici la première peinture que j'ai produite en octobre 2008. Je n'avais rien produit de tout l'été, encore affectée par mon premier échec aux Beaux-arts de Paris et lessivée par un travail précaire 35 heures par semaine. Bref, cette peinture vient de loin. Cette figure double était presque nouvelle, elle avait commencé à émerger quelques mois plus tôt, entre janvier et mai 2008, par une lente rétractation.






Cet été 2008, n'ayant pas peint, j'ai lu. Notamment un livre sur David Lynch (Michel Chion, David Lynch, Cahiers du cinéma), une référence aujourd'hui indispensable pour comprendre ma peinture. A cette époque, j'avais retenu quelques citations qui je pense peuvent éclairer cette émergence de la figure double, que je ne saisissais pas encore complètement : "confusion du religieux et du profane" ; "pour joindre (construire) il faut d'abord séparer. Créer le continu par le discontinu, relier par la séparation. Continuité par l'interruption". "La conscience de l'axe vertical est fondamentale [...] (associée à l'idée d'affaissement ou de redressement corporel)". "Son corps transformé en paysage".
Je ne garantis pas l'exactitude des citations, ma prise de note à ce moment là n'était pas celle d'une étudiante en master ! ;-)

Cette première peinture, donc ! Ce fameux Kurt Cobain, nous dévisageant, cigarette et flingue à la main, fermé et ouvert par endroits, laissant entrevoir une fenêtre ouverte sur un paysage marin (photogramme issu d' A travers le miroir, de Bergman), est l'ébauche de tout ce qui a pu suivre. Je confirmais alors mon attrait pour une figure double, lynchéenne, où la frontière entre réalité et phantasme se brouille, ou l'on ne distingue plus l'original de la copie, la surface de la profondeur, etc.

Je pense ici introduire un texte datant de cette période, car aujourd'hui mes connaissances ayant évolué, je ne serais pas à même je pense de restituer ma pensée au moment ou j'avais effectué cette peinture. Et si je tiens ce blog, c'est avant tout pour rendre compte d'un parcours, et non me complaire à des surinterprétations post-production.

7 novembre 2008 " Les images ont le pouvoir de créer des icônes, des archétypes, sur lesquels nous pouvons projeter nos propres [...] fantasmes. Les images sont des écrans à la fois réceptacles et projecteurs. [...] Quelle est la part de décalage entre la réalité fantasmée et la réalité objective? [...] Je ne m'intéresse qu'à des processus, à la représentation du réel, à l'image de l'image [...]. [...] la peinture [...] a le pouvoir de montrer à la fois la surface et ce qu'il y a derrière."

Voilà, texte assez vague où je ne sais pas encore vraiment dans quoi je mets les pieds...

Puis, avec l'avancée du master et des recherches, mais surtout grâce à la redécouverte d'Andy Warhol, je commence à saisir ce qui m'intéresse vraiment. Andy Warhol, dont je reparlerai je pense dans un post ultérieur, tellement il y aurait à dire à son sujet ! Seconde peinture, donc... toujours 2008.










Une Courtney Love très lascive, cette fois. Cobain et Love reviendront souvent dans ma pratique ; de même je pense que je consacrerai un autre post aux "icônes".
Je ne pense pas en dire plus sur cette peinture pour l'instant et me contenterai uniquement d'ajouter une image qui, je pense, explicite parfaitement ma recherche au moment où j'ai fait cette peinture. Tout le monde aura reconnu l'œuvre de Monsieur Warhol.



Je m'arrêterai là dessus pour aujourd'hui, et poursuivrai assez rapidement le bilan de l'année passée (mais qui continue en fait... ).

9 commentaires:

  1. C'est vrai que David Lynch use souvent du double, que ce soit en manipulant directement "l'image" de ses personnages, avec un fort penchant pour les embrouilles entre blondes et brunes, ou encore au moyen d'allégories, comme ce personnage au teint pâle et vêtu de noir dans Lost Highway. En faisant ainsi, je trouve qu'il neutralise la réflexion du spectateur pour agir, d'une manière plus précise qu'on le ne croit, sur les profondeurs de l'être : les sensations et les sentiments.
    En remettant le spectateur dans la peau d'un enfant qui ne comprend pas tous les codes (visuels, mais aussi en jouant avec le montage, et plus récemment l'image numérique dans Inland Empire) auxquels il est confronté, ses films gagnent un étrange pouvoir marquant, et ils parviennent à provoquer, chez qui veut bien jouer le jeu, des sentiments pourtant simples et universels : rire, inquiétude, compassion, oppression, émerveillement, tristesse, etc. Comme dans la langue des rêves, où tout est à la fois simple et compliqué.

    Il y a beaucoup à dire, et mon petit commentaire pas très clair pèse bien léger dans cette affaire. Mais je ne pouvais pas lire ce blog sans y laisser une note, étant très amateur de dé-construction de l'image / du son / d'histoires / du paraître / des illusions numériques et artistiques. Le rapport aux images est un sujet extrêmement riche et complexe, qui remonte au moins jusqu'au temps des Pharaons et qui surtout ne cesse d'évoluer grâce (et à cause) des technologies.

    Je n'ai jamais vu de Bergman, je vais tenter de réparer cela rapidement. Bonne continuation en attendant, et en espérant des prochaines mises à jour toutes aussi intéressantes !

    RépondreSupprimer
  2. PS. Et je n'ai pas lu cet ouvrage de Michel Chion; un ami doit l'avoir si je me rappelle bien. Je lui demanderai.

    RépondreSupprimer
  3. Je suis très heureuse d'avoir enfin un commentaire sur mon blog...

    Merci d'avoir pris le temps et la peine de laisser un message, loin d'être "léger" d'ailleurs ! Cette description des films de Lynch est intéressante, je la partage. Chion en parle aussi d'ailleurs, il dit dans son ouvrageque Lynch nous renvoit à des sentiments, des sensations archaïques. C'est sûrement pour cela que ses films peuvent-être dérangeants.
    Et c'est aussi ce jeu comme vous le dites qui consiste à déjouer les codes de lectures habituels du réel qui rendent ces films absoluments fascinants et qui en font de réels expériences (notamment Inland Empire). Lynch va au-delà du cinéma, c'est réellement un placticien.
    C'est aussi un point qui m'intéresse beaucoup pour ma peinture, le fait de perturber les codes de lectures habituels du visible, de peturber la perception de l'image. Même si pour l'instant je manque de radicalisme et suis encore timide à ce niveau là.

    Le rapport au images me passionne également, mais c'est vrai que je me sens souvent perdue face à des enjeux et des problématiques si complexes, si riches et qui comme vous l'avez dits perdurent depuis des siècles. Notamment pour la rédaction de mon mémoire.

    Si vous êtes amateur de Lynch il faut en effet que vous voyez absolument les films de Bergman. Lynch le cite régulièrement comme étant une référence, et Mulholland Drive est directement inspiré de Persona de Bergman.
    Je vous conseillerais les meilleurs : la Honte, le Silence, L'heure du loup, le Rite, le septième sceau, etc.

    Merci pour vos encouragements, je tâcherais de poster prochainement !

    RépondreSupprimer
  4. Ah, et j'oubliais, mais par curiosité j'aurais voulu savoir comment vous êtes "arrivé" sur mon site? merci :)

    RépondreSupprimer
  5. Il y avait eu cette exposition des travaux plastiques de David Lynch, à la fondation Cartier en 2007. Je l'avais ratée mais j'avais pu me rattraper avec la rencontre filmée entre Lynch et Chion, qui menait l'interview. Lynch y fait le tour de l'exposition en présentant ses peintures, c'est intéressant. L'exposition s'intitulait "The air is on fire".
    J'ai d'ailleurs pu retrouver la vidéo en question :
    http://www.dailymotion.com/video/x65mjf_david-lynch-the-air-is-on-fire-mich_creation

    Cela m'est revenu en pensant à une phrase - je ne crois pas que ce soit de Lynch lui-même - qui soulignait le fait que les plans de Lynch sont quasiment des peintures, des portraits filmés. Et effectivement, il y a de ça.

    Merci pour ces conseils concernant Bergman, je regarderai ça !

    En art vidéo, la perturbation de l'image est aussi intéressante, en allant du traitement numérique au simple aimant collé sur un téléviseur (chronologiquement, ce serait plutôt l'inverse d'ailleurs.) Je pense notamment à Nam Jun Paik, qui faisait quasiment de la sculpture avec des télévisions, et a apporté beaucoup de réflexions sur l'image et la vidéo.

    Je suis arrivé ici en passant par votre book, en cliquant par hasard sur votre nom dans je ne sais plus quel dédale de liens et de pages (nous avons une connaissance en commun sur un site communautaire.) Le titre et le descriptif du book m'ont plu, ces thèmes m'ont toujours intéressé (réflexions sur l'image, défauts, perturbations, réalités…) et les images/peintures m'ont aussi interpelé… et Lynch m'a fait franchir le pas du commentaire !

    RépondreSupprimer
  6. D'accord ! n'hésitez pas à m'ajouter sur ce site si cela vous dit, j'y ai des visuels plus nombreux concernant mes travaux.

    Je n'ai pas vu non plus l'exposition Lynch mais ai vu tout comme vous le reportage avec Michel Chion. Bizarrement les peintures de Lynch ne me font aucun effet, je les trouve même assez mauvaises. Mais l'interview reste très intéressante comme toujours avec Lynch.
    J'avais notamment été très intéressée par sa description du processus de création, autour de "act and react".

    J'aime également énormément la vidéo, j'ai eu l'occasion pendant mes années de fac d'en visionner un certains nombre, et je trouve ça toujours fascinant. J'ai tendance à être plus impressionnée par une bonne vidéo, un bon film ou une bonne photographie qu'une belle peinture. J'ai déjà fait quelques vidéos d'ailleurs, et j'avais même pensé un jour faire du cinéma expérimental plutôt que de la peinture. Curieusement Nam Jun Paik, même si effectivement il s'agit d'un pilier de l'art vidéo, et que certaines de ses problématiques sont proches de mon travail, ses vidéos ne me parlent pas. Je pense qu'il s'intéresse à une image physique, tandis que chez moi il s'agit réellement du côté iconique de l'image. Et je reste très attachée à la figure humaine, qui est presque évincée chez Paik.
    J'aime beaucoup le travail de Bill Viola, très attaché à la figure humaine justement. Et un travail très intéressant vis à vis de l'image également, qui traite de l'écran, et de la perturbation de l'image, est celui de Klonaris et Thomadaki. Si vous ne connaissez pas je pense que cela pourrait vous intéresser :)

    RépondreSupprimer
  7. Merci encore pour ces références. Je ne connais pas ces artistes. J'ai commencé à lire le site de Klonaris et Thomadaki, et autant leurs créations que leurs interviews sont intéressantes. Je fouillerai ça dans les prochains jours et prochaines semaines.

    Après avoir vu La Honte, ainsi que Perso, de Bergman, je comprends mieux cet intérêt plus spécifique à la figure humaine. Ces films sont effectivement remarquables, même si c'est toujours difficile de comprendre et de parler d'un auteur en ne voyant que deux de ses films à un soir d'intervalle. Mais une chose est certaine : Lynch s'en est très respectueusement inspiré (le début de Perso m'a frappé tant je croyais revoir les premiers instants d'Eraserhead).

    J'ai beaucoup apprécié le travail de Bergman concernant l'humain, ses émotions et sa personnalité, en tant que centre réel du récit. Le film avance grâce aux personnages. Par exemple, La Honte m'a fait penser à certains égards à Punishment Park de Peter Watkins, dans son côté engagé peut-être, révoltant ou encore honteux, vis à vis des événements qui se produisent dans les deux films. Mais il n'y a pas dans la docu-fiction de Watkins cette dimension aussi humaine et s'intéressant autant à la personnalité. Il est difficile de faire réellement évoluer ses personnages et leur mentalité, mais c'est ce qui les rend si réalistes et crédibles.

    Et pour cela, Bergman utilise beaucoup de plans serrés, établissant un lien fort, parfois cru et direct, entre le personnage et nous simple spectateur. Il utilise beaucoup de légers contres-plongés également, plus dans La Honte que dans Persona peut-être, dans le but de mettre ses personnages comme sur un piédestal.

    Pour en revenir aux peintures de Cobain/Love, j'ai été très surpris de voir certaines photos en gros plan, car les détails y sont vraiment intéressants, notamment dans le traitement des contours et de la couleur. En outre, les photos ont tendance à être légèrement décentrées, et donc à apporter une perspective supplémentaire à l'axe de la symétrie centrale (perspective normale lorsqu'on est devant la peinture, mais que l'on perd forcément devant un écran d'ordinateur).

    Bref, je cherchais également les icônes dans le cinéma, je pensais à Orson Welles avec Citizen Kane, mais il s'agit plutôt d'un procédé de narration, même si l'image n'est pas dénué d'intérêt (techniquement et artistiquement.) Si j'en trouve d'autres…
    La scène des sœurs jumelles dans Shining de Kubrick est relativement marquante, avec une symétrie inquiétante et surnaturelle. Il y a aussi l'idée d'obstacle empêchant d'avancer et qui ouvre en même temps l'espace sur le passé cauchemardesque de la maison.

    Donc bref, en attendant, merci pour les pistes et les découvertes !

    RépondreSupprimer
  8. Je n'ai malheureusement encore jamais vu Citizen Kane de Welles, je tâcherais de faire ça, de même que pour Shining de Kubrick.

    Quant à Bergman, ce sont ces plans serrés sur le visage qui m'ont le plus marquée et qui sont absolument magnifiques. Deleuze a écrit là dessus, il parle d'icônes justement, et aussi de déterritorialisation du visage.
    C'est depuis que j'ai lu ce terme de déterritorialisation que je fait un travail de recherche sur les contours, les tracés de mes visages, je les visualise comme une cartographie. Et la couleur vient soit appuyer cette cartographie, pour en faire un motif, ou bien à l'inverse, elle vient déborder les contours.

    J'avais oublié également de vous conseiller un des meilleurs de Bergman : De la vie des marionnettes.

    RépondreSupprimer
  9. C'est exactement ça, merci pour cette explication ! J'aime beaucoup en tout cas, et tout ce procédé semble être une voie très intéressante et prometteuse pour la suite.

    Si j'ai quelques souvenirs de passages enregistrés de son Abécédaire, je n'ai jamais lu Deleuze. Je ferai attention, si jamais je croise son chemin un de ces jours…

    C'est noté pour ce dernier film ! J'ai vu il y a quelques jours L'heure du loup, qui m'a pas mal remué… Bergman a un côté très direct qui m'impressionne. L'histoire m'a, après coup, vaguement rappelé le film Naked Lunch, de Cronenberg. Dans un genre très différent, mais qui représente aussi une longue pente glissante vers la folie. Cronenberg a d'ailleurs une vision très particulière du corps et ses diverses manières de le représenter et de le déformer peuvent être intéressantes. Beaucoup de ses films ont peut-être moins bien vieilli que du noir et blanc, qui reste une image belle et forte quelque soit l'époque.

    RépondreSupprimer