Pour en revenir aux deux peintures exposées lors du dernier post :
Bien qu'au départ je pensais être totalement dans la continuité de mes peintures précédentes, il est important de noter ici qu'il s'agit d'un
corps siamois plus que d'une figure double.
En toute honnêteté, lorsque j'avais fini ces deux peintures, je ne savais pas quoi en penser. Je n'étais pas consciente du sens qu'elles pouvaient avoir.
Heureusement le master sert à cela (pour ceux qui pourraient se demander à quoi ressemble un master d'arts plastiques ! ) : nous aider à penser notre travail plastique (grosso modo).
Donc c'est par le biais d'une discussion avec mon professeur (Mr Bacquet, artiste et chercheur au CERAP) et mes collègues de classe que j'ai pu prendre conscience de ce qui se jouait ici.
Avant de me lancer, je tiens à expliciter le fait que je rassemble ces deux peintures et ne les différencie pas (bien qu'elle aient des différences). Tout simplement parce qu'elles participent, à peu de choses près, de la même recherche :
- ce sont mes deux premières peintures partant d'une photographie de
mode.
- malgré le fait qu'il s'agisse de deux images réunies en une seule, contrairement aux deux peintures précédentes(à chaque fois deux panneaux en carton gris), celles-ci sont réalisées sur
toile, sur
un seul panneau.
- le corps prend une importance nouvelle, notamment par le biais de la figure siamoise et d' un cadrage plus large.
- la peinture est travaillée plus en transparence, elle est quasiment
spectrale.
Donc cette discussion. Nous avons parlé évidemment de beaucoup de choses.
Pour la première toile : d'expansion ; de mode pensée en tant que
surface ; des axes comme forme de
crucifixion.
Pour la seconde : de sujet polymorphe, démembré (voir
Bellmer qui, effectivement, a été à une époque une de mes références majeure) ; du fait qu'ici, la peinture est en retrait par rapport à elle-même ; de
signes / objets transitionnels ; du fait que la peinture déjoue ses propres codes par une unification non logique de l'espace (voir le fond) ; d'une dimension iconique concentrée dans les visages. La peinture est ici difforme, son anatomie révélée.
Oui, des fois cela peut être très flatteur de laisser les gens parler de vos travaux... Je n'aurais pas fait mieux. Ce qui est curieux lorsque l'on crée, c'est de constater à quel point nous pensons tous nos gestes sans que cela s'avère forcémment conscient. J'aurais été incapable de fournir un tel discours (et encore celui que je vous rapporte est seulement une prise de note rapide du magnifique monologue que m'avait fait Mr Bacquet :p) seulement quelques jours après avoir terminé ces toiles. Mais au fur et à mesure que ces paroles arrivaient à mes oreilles, cela devenait comme une évidence. C'était exactement cela et j'avais l'impression que tout était dans ma tête au moment même où je peignais mais que curieusement, j'avais été incapable de trouver les mots à mettre sur mes intuitions.
Bref, je m'emporte, mais ce sont vraiment des moments très particuliers que je vous décris ici, ceux où l'on vous révèle à vous même.
Si je n'ai dressé qu' une liste rapide de tout ce qui a pu être évoqué, c'est parce que bien que tous ces indices m'aient énormément aidée et aient continué à être présents dans ma peinture (sauf peut-être en ce qui concerne le corps démembré), ce qui a le plus retenu mon attention est le mot
vacuité. (ouf, on y arrive!)
En effet, bien que cette dernière était présente dans mes travaux précédents, notamment le Cobain, ici elle prend un statut tout à fait différent. Elle se positionne
au centre même de la toile, là où les deux figures se rejoignent (ou se séparent).
Dans la première toile, elle rend compte d'un
écartellement, comme si l'image en tension allait se déchirer ; ou bien d'une
collision qui au moment même où elle se produit réduit les corps au
néant. Ou bien peut-être est-ce les deux. L'image,
incisée en son centre,
déployée en miroir, tel un corps que l'on dissèquerait, tiraillée à l'extrême, au bord du déchirement, fini par se rétracter soudainement et
imploser.
Quant à la seconde toile, il en est à peu près de même, mais là où elle se différencie, c'est que cette vacuité devient un espace à part entière. On ne sait pas où elle se situe et par conséquent elle perturbe toutes les données spatiales de la toile. On ne sait pas si elle se situe à l'avant ou à l'arrière, et par conséquent il en est de même pour tous les autres éléments. C'est une
ouverture certes, mais est-ce un lieu de mort de l'image, où un lieu de naissance? Cette vacuité est là, nous fait face et nous interroge.
Est-ce que la vacuité est ce que l'on trouve lorsqu'on
creuse l'image? N'y a t'il que du vide derrière la surface? Comme un
masque sans visage. Ou bien, n'est-ce qu'une porte que l'on a réussi à ouvrir et qu'il faut pénétrer pour trouver la vérité?
Ces dernières questions continuent de motiver ma recherche et mes travaux en cours, je n'ai toujours pas de réponse, c'est un sujet si vaste. D'autant plus que mon travail interroge d'autres notions sur lesquelles je dois me pencher également.
Je terminerai ce post (encore trop long ! ) sur quelques citations qui après tout mon blabla finiront toujours par mieux expliciter le questionnement :
"Comment restituer à l'image son relief, sa profondeur? [...] Travail qui vise [...] l'interception des signes masqués, seul capable de
faire remonter l'intériorité à la surface de l'écran, et ainsi de le
creuser. Au coeur de cet espace [...]
la figure humaine fait tâche, promise au figement et à l'effacement, et doit finir sous le glacis elle aussi. [...] Comment, dès lors, retrouver la tactilité de l'image-matière [...] ? En dévirginisant l'image, en l'attaquant par l'ombilic qui la relie aux lymbes. [...]
En creusant un trou en son centre."
Youri Deschamps, Blue Velvet, David Lynch." Son oeil cherche la
vérité dans la trame."
Marc Lambon, "Les messes noires de la Factory, le grand bal de la mort", Le grand monde d'Andy Warhol, Beaux-arts magazine.